Les vacances du Nouvel an Chinois sont indiscutablement l'occasion de vous faire découvrir le principal moyen de locomotion en Chine pour les longues distances à savoir le train.
Chaque année, durant cette période festive, plus d'un milliard et demi d'individus se croisent sur le réseau ferroviaire chinois, l'un des plus grands du monde avec plus 70 000 kms de voies.
J'avais, pour ma part, choisi de partir, ainsi que vous vous en souvenez, pour Hangzhou. Pour s'y rendre, vous avez effectivement l'embarras du choix entre le bus, le taxi, le covoiturage, mais le plus économique, le plus diligent et le moins aléatoire des transports reste tout simplement de prendre le train.
Tout simplement n'a, cependant en Chine, plus la même signification, comme vous avez pu le constater lors de mon billet lessiviel. Il sera de même pour ce mode de déplacement.
Si trouver une gare à Shanghai n'est pas difficile, trouver la gare de départ est déjà un exercice en soi. Car entre la gare ferroviaire principale, 上海火车站 Shànghǎi Huǒchē Zhàn, la gare de Shanghai Sud 上海南站, Shànghǎi Nánzhàn, la gare de Shanghai Ouest 上海西站 Shànghǎi Xīzhàn et celle de l'Aéroport de Hongqiao 上海虹桥站; Hóngqiáo Huǒchē Zhàn, il y de quoi y perdre son chinois...
Celle du Sud, flambant neuve facile d'accès par le métro de mon domicile eut ma préférence:
Je m'y rendis pour y réserver un billet A/R Shanghai<->Hangzhou. Il existe bien entendu, pléthore d'agences qui vous faciliteront les démarches mais je décidais cependant de prendre le train par les commandes et d'aller sur le terrain en totale immersion.
Si ma première intention fut de me diriger vers les guichets comme dans n'importe quelle gare, je me ravisai cependant, constatant non seulement l'interminable queue qui serpentait dans tout le hall et surtout l'absence d'interlocuteurs parlant anglais. Je ne me résignais pas et remontais au niveau supérieur pour m'approcher d'une de ces machines qui trône dans l'entrée de la gare et qui selon la légende, délivre des billets pour le jour même.
Je tentai ma chance pour le surlendemain pariant sur un malentendu. En choississant le menu anglophone et après quelques instants d'acclimatation, d'hésitation, d'alternance linguistique, l'engin dompté obéit à ma requête.
Je découvris alors les subtilités du train chinois, où n'existent, non pas deux catégories de classes, première et seconde, mais cinq: les sans-sièges, les sièges à l'assise dure 硬座 yingzuo, ceux à l'assise molle 软卧 ruanzuo, les couchettes dures 硬卧 yingwo et les molles 软卧 ruanwo.
N'ayant plus que le choix entre sans-siège et siège dur, je pris cette dernière proposition pour la modique somme de 58 RMB l'aller-retour, soit 6 euros pour 4 heures de trajet: imbattable. Je rentrai alors chez moi toute ravie de ce succès minime.
Je revins à la gare le lendemain du Nouvel An Chinois, sans me presser, croyant naïvement être seule à bord du train. J'avais tort. La gare était pleine à ras-bord d'enfants, parents, grands-parents et bagages par centaines pour la grande transhumance annuelle.
C'est avec une véritable marée humaine que je me dirigeai vers de minuscules trains, dont je doutais alors qu'ils puissent contenir le flot d'individus qui se déversait sur le quai:
Et pourtant, pas un ne restera sur le quai, lors du départ.
Cherchant mon wagon et son siège à assise dure, je constatais, une fois n'est pas coutume, que j'étais la seule étrangère au milieu d'une avalanche d'hommes, femmes et enfants braillant au milieu de valises, cartons et sacs. Le tout enrobé dans un fond sonore de radio dance un peu trop fort à mon goût.
Faisant abstraction des regards étonnés et appuyés des spectateurs de mon arrivée, je trouvai ma place, montai comme je pus ma valise et m'assis tranquillement sur mon siège qui ne fut pas si dur que cela, équivalant largement ceux des RER parisiens s'il fallait faire une comparaison.
A l'heure dite et très précisément, le convoi s'ébranla, faisant dégringoler du porte bagage quelques sacs mal harnachés. Et commença alors un drôle de ballet de vendeurs ambulants, qui ont du passer quelques centaines de fois tout au long du trajet, pour proposer fruits, journaux, plats chauds/froids, boissons, cigarettes et même des jeux pour les enfants, provoquant au passage hystérie et pleurs en pagaille.
Au milieu des travées et de ce va-et-vient incessant, des VSS, voyageurs sans-siège, tentaient de garder un équilibre instable, le dos calé contre les séparations ou adossés aux portes, lorsqu'ils n'utilisaient pas leurs propres bagages comme tabouret de fortune. Mais dès qu'une place se libérait à la faveur de nos différentes escales, oubliant toute humanité, ils se livraient une bataille sans merci, pour se l'approprier, se jetant au besoin sur le siège, et les voisins au passage.
Sur mon fauteuil mi-mou que je ne quittais pas, je faisais face à un couple souriant qui grignota sans discontinuer l'équivalent d'un kilo de graines de courges au cours du trajet, les entassant dans un plateau sur notre table commune. A ma gauche, une grand-mère aux jours creusées et aux cernes appuyées essayait d'occuper trois enfants en bas âge qui, pieds, nus escaladaient les sièges et passagers environnants. Ce qui donna lieu à deux ou trois chutes entrecoupées de cris de la mamie excédée et des bambins fatigués.
J'arrivais finalement à bonne gare dans le sud de Hangzhou, gare que je retrouvais le surlendemain, toujours aussi encombrée mais dans une même ambiance joviale pour un retour des plus cocasses.
En avance, pour cette fois, j'attendais sagement l'ouverture du quai dans une salle d'attente bondée. J'observais et me sentais observée. L'heure fatidique du départ approchant, je vis se former progressivement une immense file d'attente anarchique devant les grilles du quai.
Ce n'est que dix minutes seulement avant le départ, que je me résolus à prendre part à cette agglutination, juste avant que les contrôleurs n'ouvrent les portes. C'est alors que dans un brouhaha et une agitation incompréhensibles, toute la file indienne se mit à avancer, puis au fur et à mesure, sans raison apparente, à courir en direction du quai.
Emportée par le mouvement, sans comprendre pourquoi ni comment, je me surpris à accélérer le pas puis dans le doute à prendre mes jambes à mon cou, pour aller attraper un train quai n°2.Sans plus réfléchir, je parcourais le tunnel, avalais les marches d'accès lorsque, prête à me jeter dans le premier wagon qui attendait, j'eus un moment de lucidité et regardais fort heureusement sa direction: Nánjīng 南京!
C'eût été une anecdote extrêmement piquante à raconter a posteriori mais sur le coup, j'évitais une nuit de galère et un voyage de 10 heures vers nulle part.Je n'eus cependant pas le temps de reprendre mon souffle que la course folle reprit avec l'arrivée du train pour Shanghai. Etant voiture 2 alors que je me situais à la 22, mon parcours n'était pas encore terminé.
Au milieu des valises, avec ou sans roulettes, des cabas remplis de victuailles, des bébés bringuebalés portés par des mères au bord de l'asphyxie, je ralliais mon wagon, jetais ma valise sous mon siège et m'y affalais sans demander mon reste au milieu de chinois curieux de cette rouge frisée dont l'entrée fracassante les avaient tous fait taire.
Mon retour fut beaucoup plus pondéré avec l'équivalent d'un train corail qui me fit parvenir à Shanghai en un peu plus de 2 heures pour 200 kms. Un voyage qui fut express sans l'être finalement complètement...